Chercher

Au retour du flâneur – Le matin

Par la fenêtre

PAR XAVIER MARTEL

Samedi matin, 14 janvier 2017

Clara mange un croc-monsieur sur la table de cuisine où j’écris ces lignes. Réveillé tard, 7h30, j’émerge de la touffeur du sommeil avec difficulté. La tête lente, mes idées peinent à flotter vivement, comme les poissons des rivières au printemps. Besoin d’un café. Je me lève, contourne la table, donne un bisou à ma fille et observe dehors. Derrière la fenêtre, les cours arrières sont lourdes de neige, les écureuils grimpent aux arbres, c’est ce qu’ils font le mieux, le vent souffle et glisse entre les branches des cèdres du voisin, emportant un peu de poudreuse avec lui. Les cordes à linges sont vides. Moi aussi. Café.

Vivre ensemble

PAR XAVIER MARTEL

Mardi matin, 13 décembre 2016

Mes bottes crissent sur le tapis blanc. L’allure est diminuée par le glissement. Difficile d’avoir une traction stable dans  un pied de neige. C’est beau pourtant, toute cette couverture blanche posée sur la surface des choses. Le sol est moelleux, les silhouettes des passants sont arrondies par leur gros manteau, l’air cependant est piquant et pénètre les poumons en les ravigotant, vivifiés par le froid. Les oiseaux chantent rarement, mais quand ils le font c’est tous ensemble.

Sur les trottoirs, le savoir-vivre prend une importance qui n’est pas nécessaire durant les autres saisons. Les sentiers tracés dans la neige étant étroits, il faut, en plus de jouer à l’équilibriste, laisser comme on peut le passage aux gens qui nous rencontrent en sens inverse.

Des muscles la plupart du temps ignorés se gonflent, les quadriceps étant plus motivés qu’à l’habitude. Enfin, c’est l’enchantement d’un départ, d’une saison nouvelle, faite d’odeur d’essence, de balle de neige, de glissades impromptues et des joies d’entrer se réchauffer aux comptoirs des cafés.

Les chats se font plus discrets, l’hiver, on remarque leurs traces, mais on les voit rarement en entier. Contrairement aux chaudes journées d’été, humides et ensoleillées, où ils paressent au soleil, maintenant, ils sont aux aguets, tapis, prêts à détaler à la première menace.

Libéré, délivré

PAR XAVIER MARTEL

Vendredi matin, 25 novembre 2016

Allez les enfants, on va dehors ! – Yé, crie mon fils Louis. – Ouvre la porte, demande Clara. Hop ! Dans les escaliers intérieures, mon petit gars chante à tue-tête, de sa petite voix aiguë, des paroles incompréhensibles. Dehors, l’air est dense d’humidité. Nous pénétrons le brouillard. Le devant de la poussette fend les vapeurs d’eau. – Donne-moi la main, papa. – Ok ma fille. Si tu savais comment ton père est joyeux quand nous marchons main dans la main. C’est un sentiment d’amour qui fait éclater un feu d’artifice dans les synapses. Les gestes, les contacts vont parfois plus loin que le verbe.

Une fois à l’école, Clara dépose son sac-à-dos et enlève son habit de neige pendant que Louis et moi poursuivons notre trajet vers la garderie, au pied du viaduc Rosemont.

Dans les ruelles, pas de bruits sinon les ploc de la neige qui fond et tombe dans les flaques. Le monde du matin est si différent de celui de la nuit. Le café remplace l’alcool, l’éveil, les conversations banales et approximatives, les muscles faciaux pas encore bien étirés,  remplacent l’euphorie et l’attente de quelque chose de merveilleux, d’extraordinaire qui arrive lorsque l’on goûte la saveur du temps qui passe à travers l’ivresse des profondeurs.

Le matin, nul besoin de bathyscaphe, on nage en eaux douces, dans les rivières calmes qui déroulent tout doucement leurs algues comme autant de mains saluant un, puis des voisins, des voisines, le barrista, la boulangère, etc.

C’est la communion des lèves-tôt.

Arrivé à la garderie, j’embrasse coco, salue chaleureusement Marlène et repars en me demandant où je vais bien pouvoir aller aujourd’hui.

Mile-End matin

PAR XAVIER MARTEL

Jeudi matin, 24 novembre 2016

Après avoir accompagné ma petite fille à l’école de quartier, je l’embrasse, lui recommande de bien se couvrir et de jouer en masse, puis je m’éclipse dans les rues du matin. J’aime observer les visages des passants croisés : yeux qui trainent de lourdes valises, tasse de café chaud aux lèvres, regard plongé à l’intérieur d’eux-mêmes. Ils s’éveillent doucement, pas à pas.

Peu de gens semblent avoir la liberté de saisir le dehors, de marcher pour le plaisir, les sens déployés comme une voile. Quitter ses préoccupations pour explorer le monde est un luxe, une chance. Là-dessus, je dois admettre que le métier de professeur de cégep offre une grande latitude à mes occupations : je n’ai pas à me rendre au même lieu tous les jours. Je peux transporter mes tâches dans un sac à dos et travailler où ça me chante.

Les cafés témoignent de plus en plus de cette réalité. Combien de salariés immergés dans leur écran d’ordinateur croise-t-on en un avant-midi ?  Il y a un moment que je ne compte plus.

L’air du matin est frais. J’avance sur la lisière du trottoir où s’amoncelle de petits monticules de neige qui s’aplatissent sous mes bottes.

Un gros chandail de laine me garde au chaud, cadeau de mes parents. Les autos roulent, les cheveux des passants ondulent, le vent effleure les reliefs dans sa course. Les sourires sont rares ce matin. Peut-être est-ce l’effet du ciel blanc ? Des gens marchent la tête nue,  prise entre les épaules dans une tentative de se réchauffer qui m’échappe. Pourquoi ne portent-ils pas une tuque ? Qu’est-ce qui peut bien décider quelqu’un sain d’esprit à sortir dehors lorsqu’il fait moins 15 degré sans se couvrir ? Si c’est une question de style, ça m’échappe encore plus car la posture des gens qui ont froid, et froid par choix, est tellement peu séduisante qu’elle en devient pathétique. Il me semble qu’il y a de l’infantilisme dans ce comportement. Enfin, c’est eux que ça regarde.

Un mariage de pigeons décolle d’une corniche et opère une boucle. Je les regarde sans jalousie avant d’entrer au Laïka. Une pile de copies à corriger m’attend.

*          *          *

Après quelques heures passées assis, je règle l’addition et m’échappe au dehors. La neige a recommencé de tomber. Sur le trottoir, j’avance en redressant l’échine. Je goûte la sensation rare d’être lié à tout : ciel, eau, froid, pieds, béton, terre.

C’est si bon de marcher.

Je l’ai suivie.

PAR CHLOË ROLLAND

Je marche sur les pas d’un personnage. Elle se dirige vers un hôtel où elle travaille, où tout a eu lieu. Il est particulier de flâner en quête d’un récit qui suit sa propre logique, son propre chemin. Je ne peux rien lui imposer. Ce matin, assise à mon bureau, il me manque un trajet. Mon personnage demande à marcher. -25, dimanche matin, café au lait… really? J’ai enfilé mes combines, mon manteau d’explorateur, ma tuque de Mémé et je me suis rendue là où elle habite, comme si j’allais la rejoindre.
Je l’ai suivie.img_1889img_1944img_1952img_2015img_2032img_2034img_2081img_2075

Et filent les heures

PAR MYRIAM MARCIL-BERGERON

L’automne s’est déroulé comme un tapis glissant sous mes semelles; levée avant le jour, mes matins avaient besoin de lumières artificielles. Les yeux encore collés, il me semblait alors que mon appartement brillait comme un phare au milieu de la nuit.

J’avalais un petit-déjeuner rapide en révisant des notes de cours, m’habillais de plus en plus chaudement avant de sortir, sans compter ces matins que j’ai abrités sous un parapluie. Les nuages ou un brouillard tenace voilaient le quartier que je quittais pour la journée. Une fois dehors, je croisais deux, trois ombres, jusqu’à ce que je rejoigne l’arrêt du bus 467, où des gens, d’abord le chauffeur, se matérialisaient sous un éclairage cru et grésillant.

L’automne s’est déroulé, j’ai croisé et recroisé des élèves en partance pour une journée à la polyvalente ou au cégep, comparant leurs notes en vue d’un examen de maths ou leur appréciation de telle professeure. Avant le changement d’heure, j’arrivais à la station de métro Saint-Michel vers 7h15, 7h30 et les lampadaires montaient encore la garde du matin. Avec plusieurs dizaines de personnes, je m’engouffrais en direction de l’autre bout de la ligne bleue; ressortais parmi plusieurs autres dizaines de personnes à la station Université-de-Montréal. C’est seulement en poussant la porte de l’édicule donnant sur le boulevard Édouard-Montpetit que les lueurs du matin s’élevaient à leur tour.

Au travail avec des étudiants, étudiantes de 8h30 à 10h30, j’avais un instant cette agréable impression, en fermant le local derrière moi, de penser qu’il était encore tôt dans la journée. Puis, peu après, un café, un muffin, des courriels, des évaluations à compléter, des discussions entre collègues, des imprévus. Tout l’automne, des heures matinales plus nombreuses que lorsque je commence ma journée sans radio-réveil ont glissé sous mes semelles, mais me semblaient filer à plus vive allure encore.

Un matin de décembre est arrivé. J’ai ouvert les yeux et les rideaux peu après 7h30. Des rayons de soleil givrés se sont glissés timidement à l’intérieur.

Saison

PAR CHLOË ROLLAND

20161215_120613

C’est dans un nouveau quartier que tu accueilles l’hiver. L’enfance: mettre des Sorel, sortir tôt matin par grand froid et pousser du pied sur le trottoir un morceau de glace.

Les rues te sont inconnues. C’est un de ces endroits où tu ne passais jamais. Tu essaies de ne pas précipiter ta course. On t’a suggéré de faire des pauses, de déstabiliser tes habitudes.

Au départ, le froid te mord le visage. Tu te couvres la tête de deux capuchons, remonte ton foulard sur ton nez, sacre contre tes lunettes qui s’embuent. Ton pas est rapide, tu prends De Gaspé vers le nord. Au coin Guizot, le parc des Rêves est inondé de soleil, mais déserté des rêveurs. Tu te rends jusqu’au Métropolitain où le vent souffle, impitoyable. À gauche, à gauche, tu redescends la prochaine.

Ton parcours est sinueux, tu n’as aucun repère. Quelque part de l’autre côté de Saint-Laurent, tu te fais surprendre par une église magnifique, avec ces dômes dorés. Quelqu’un approche derrière toi en courant, fait demi-tour et disparaît, puis revient et te dépasse d’un pas empressé, des sacs dans les bras. Au coin de Saint-Laurent, la même petite femme attend l’autobus.
Ton pas ralentit.
Tu lèves les yeux au ciel et suit le parcours d’un avion.

Coin Casgrain, le vent siffle dans les feuilles séchées de trois grands arbres dont tu voudrais savoir le nom. Sur les vieilles portes d’un ancien garage commercial, leurs ombres dansent. La porte s’ouvre et un homme en sort. Tu as l’idée d’aller le voir pour lui demander si tu pourrais en faire ton garage de quartier, mais tu ne vois aucune enseigne et fais demi-tour.

Tu te rends sur Jarry chez Mademoiselle Bonbon. L’âge adulte: entrer au paradis du sucre, se choisir un nombre incalculable de jujubes, les payer et sortir. Arriver à la maison et les tendre à un sourire.

L’hiver peut bien s’amener.

Tu as déposé tes valises.

Je te raconterai.

PAR MARTHA TREMBLAY-VILÃO

roimort            Je te raconterai les lundis. Les lundis matin où la légèreté de la neige poudreuse dehors n’arrive pas à alléger le cœur reflété par la fenêtre. Les lundis où les yeux sont tirés vers l’arrière du crâne et, couché le ventre sur le sol, les l-armes se posent. Les lundis où on m’accepte comme je suis et où pourtant la banalité du jour continue de me tirer où je ne suis pas. la douleur. tirée vers l’arrière du crâne qui est aussi l’avent. Noël, les cadeaux, les repas, les ex, le calendrier, le temps. Qui reprend. en boucle et en guirlande. Être toujours un peu à côté. à côté de la plaque. la plaque. de glace. Je te raconterai comment j’ai failli glisser sur ton palier enneigé avant de me lancer dans le cours des ruelles. Je te raconterai l’histoire de cet enfant que j’ai croisé qui faisait un pas puis tombait et recommençait sans cesse.

           Je te raconterai les lundis. Neige éternelle qui erre entre les paniers de basketball abandonnés. Elle compte les points. un. deux. deux poings avalés par les poches puis recrachés dans l’espace. gorge serrée autour du foulard. mitaines colorées pour couvrir l’ennui. Je te raconterai comment le beau et le laid se fondent quand la douceur des flocons se mêle au bruit des machines, quand les pas des gens glissent en slalom sur les trottoirs. bruit d’oreiller étouffé contre un visage de plume. bottes enterrées par la blancheur des pas qui s’alignent comme un réalignement de chakras instable. Je te raconterai les lundis, ceux où on est forcé de marcher et où on se fait prendre au jeu. Je te raconterai l’histoire de cet enfant que j’ai croisé qui faisait un pas puis tombait et recommençait sans cesse. Ce « roi mort de n’avoir pas pu », c’était moi. « Te rencontrer »,  toi.

Je te raconterai,

                                                      je te raconterai,

je te raconterai.

Matin mat

PAR ANDRÉ CARPENTIER

12-12

Tôt matin de parc urbain et riverain, matin mat de lente ondée de neige sous un éclairage sporadique aux effets de rouille. De gros flocons bien détachés les uns des autres papillonnent en diagonale. Les arbres dénudés étalent leurs ramilles chercheuses de lumière naturelle. La rivière se fige en plaques de gris autour de canards épars.

Les bancs du parc se fondent dans leur environnement de butons et de sentiers. Seuls quelques buissons et une colonie d’outardes font tache, ainsi que les passants du tôt matin, joggeurs, écoliers, travailleurs… ici donnés par ordre décroissant de coloris.

Au retour de cette petite marche, les réverbères s’éteignent, le camaïeu de l’hiver annexe le ciel. Le jour est levé. Des plaques de neiges forment de minces mais larges fractales près de la rive, qui s’assemblent peu à peu là où le courant est le moins fort. On dirait que le parc s’agrandit! Un jeune Retriever y descend malgré les appels sifflés de son maître aux jambes grêles, qui souhaite ne pas interrompre sa course. Le chien n’est pas long à rattraper la main qui le nourrit.

Je rentre mettre quelques fraises d’une confiture maison sur un bout de pain et tremper l’autre bout dans le café au lait. Du quatrième niveau où je me trouve, je perçois mieux le frasil qui se forme à la surface de la rivière, passé les fractales de neige. Je monte la chaleur d’un degré et me rapetisse un moment sur moi-même comme si je me prenais dans mes bras.

Propulsé par WordPress.com.

Up ↑